Fender, pour beaucoup c'est des modèles "légendaires" et un "gros" catalogue. Mais quand on évoque l'histoire de cette marque, il faut considérer pas moins de sept décennies d'aventure industrielle et d'anecdotes en tous genres... Celle-ci n'est rien qu'une au milieu de milliers d'autres. Une anecdote ce n'est pas toujours un truc "officiel", c'est parfois juste un souvenir de boulot, comme on en a tous plus ou moins... un truc qui s'est passé, un jour. Outre mes liens familiaux avec les USA, j'ai une chance, ou plutôt "deux" chances : celle d'avoir côtoyé des gens qui ont tantôt travaillé là-bas ou tantôt évolué dans le vintage mais également, et celle d'être issu du milieu industriel. L’industrie, c'est gérer une production ou un catalogue, mais c'est avant tout analyser des retours d'information (feedback), établir une stratégie commerciale, parfaire un réseau de distribution... etc. Et au milieu de tout ça encore faut-il gérer le "quotidien" : approvisionnements, sous-traitance éventuelle de certains éléments, mais aussi le parc machines et ses possibilités... des centaines de données (ceux qui ont bossé dans un service "méthodes" savent de quoi je parle). Quand CBS a racheté Fender en 66, ils se sont retrouvés avec un bel outil de production mais pas forcément le mode d'emploi ! Ce n'est pas parce que l'on possède une usine que l'on sait fabriquer des grattes, et encore moins maîtriser un marché. A cette époque Fender a également dû opérer un passage à une gestion plus "moderne", voire managériale. Pour des "technocrates" venus de l'extérieur, il est évident qu'un modèle qui a plus de dix ans d'exploitation commerciale est sensé être remplacé. Qui pouvait prévoir la longévité de la Strat ou des autres modèles à part le marabout du coin ? La valeur "sentimentale" et le choix "passion" sont des notions qui ne sont exploitées et/ou modélisée économiquement que depuis une toute petite décennie... c'est très récent ! Dans l'automobile un modèle d'aujourd’hui ne fait plus guère que deux années de prod... au mieux, en suite il est "relooké". La 2CV et la Fiat 500 sont des exceptions. Dès lors que l'on dessine une bagnole c'est le coût de son étude qui déterminera le nombre d'exemplaires à produire...et vice-et-versa, et si l'on n'envisage pas assez de ventes potentielles, le dessin retourne dans le tiroir. Parfois c'est une attente estimée du marché qui suscitera un modèle (la voiture qui répond aux questions d'aujourd'hui...).
Je pense qu'à l'époque des énarques de bonne augure ont supposé que les Jazzmaster, Jaguar et autres projets "offset" étaient potentiellement plus porteurs pour le haut-de-gamme de la marque (avec l'avènement de la Surf Music), la bonne vieille Tele occupait discrètement l'entrée de gamme, alors la Strat aura sans doute été présumée en fin de vie car peut-être mal située...
Personne ne possède la science infuse, et d'autant plus dans le contexte consumériste des années 50/60 aux USA (c'est quand même le pays où ont été forgés les dictas de l'obsolescence programmée). C'est, aujourd'hui encore, la raison pour laquelle les plus grandes marques de tous domaines investissent les forums et autres lieux d'échanges... pour avoir l'info la plus stratégique qui soit, le pétrole du XXIème siècle : les souhaits du client potentiel, celui que l'on nomme "prospect". A votre avis comment font Google et un certain Zuckerberg pour être cotés en bourse avec des prestations totalement gratuites ? A chaque recherche Google, à chaque publication Facebook le moindre mot-clé est analysé, trié comme une matière première transformée en produit fini pour être revendu à celui qui vous adresse des pubs ciblées. c'est la vie !
Un autre exemple dans un domaine différent. Savez-vous que le standard de l'industrie qui totalise la plus grande longévité sans avoir subi de modification est le format 24x36 (bien connu des photographes). Inventé par Leica en 1914 (plus facile à transporter pour les photos de guerre), ce format ne s'est éteint qu'avec l'arrivée du capteur numérique. La technologie CCD étant coûteuse en fabrication et surtout exigeante en matière première (silicium), on a réduit le format, ce qui a entraîné des conséquences sur toute la fabrication des lentilles et des gammes d'objectifs, et même des limites sur la qualité du tirage grand format. Depuis que Canon a acquis le maîtrise du capteur C-MOS (moins coûteux) on retrouve devinez quoi : le capteur plein format 24x36 (full frame) ! Comme quoi... quand un truc marche bien il semble immuable.
La plupart des marques de légende ont au moins cet avantage, celui de susciter l'émotion (même chez les requins de la finance), et c'est tant mieux car les marchés ne sont tendres avec personne et personne n'est à l'abri... Alors pourvu que cela dure encore longtemps.